15 jours déjà que je me promets d’écrire quelque chose sur une aventure particulière,
aventure autour de la migration, aventure autour de la rencontre humaine. Il est encore possible de faire de belles rencontres, des rencontres gratuites, des rencontres transformantes.
Ghardaïa, mois de novembre 2013, les premières pluies menaces, petit crachin du soir. Le jour est au soleil frais, pour d’autre froid ! Le petit désert offre ses pierres aux rayons comme pour en aspirer la chaleur et la conserver pour les nuits déjà plus difficiles à supporter dehors, sans abri.
Les villes d’Algérie sont parcourues depuis un an par des personnes inhabituelles, femmes et enfants venus du sud, mendiant le jour, disparaissant la nuit. D’abord assimilés à des réfugiés de la guerre du Mali, ensuite reconnus pour des nigériens, leur présence questionne, parfois dérange, souvent entraine la compassion.
Des associations algériennes se mobilisent vite pour leur apporter de la nourriture, surtout quand le froid attaque ces personnes peu vêtues. Quelques journaux en parlent. Puis ils sont oubliés. Le temps passe, la guerre au Mali aussi. L’été arrive. L’habitude opère. Ils sont là.
Et puis, il y a eu Lampedusa. Un cri de l’Europe face à de nombreux morts en mer. Des frontières fermées qui repoussent, et qui poussent à des attitudes suicidaires. Il faut fuir à tout prix, il faut vivre à tout prix, même au prix de la mort. Nous sommes devenus fous ! Et puis, il y a eu la libération des otages au Niger. Une grande firme d’exploitation des richesses minières de ce pays « pauvre », a réussi à émouvoir le monde, même les migrants subsahariens d’Algérie. Les larmes aux yeux ils commentaient, dans le centre d’écoute de Caritas, le calvaire des otages et les retrouvailles familiales. Et puis il y a eu les deux journalistes assassinés. Trop d’évènements coup sur coup pour s’arrêter sur les 50 petits cadavres du Niger. Enfants morts de soif à la frontière algérienne. 92 vies disparues parmi tant d’autres en quête d’une terre d’accueil.
Alors nous nous sommes mis en route. D’abord intérieurement. Nous savions la présence de ces groupes de personnes nigériennes sur le territoire algérien. Qui sont-ils ? Que fuient-ils avec tant d’enfants ? La Libye à feu et à sang ? La famine de leur pays ? Combien devront mourir pour que moi-même je les regarde ? Pour que je m’en soucis ? Nous nous sommes ensuite mis en route physiquement et nous aussi nous avons fuit ; fuit notre confort, notre enfermement, notre endormissement ! Tout en sachant que nous y reviendrions, mais probablement plus comme avant !
Ghardaia, première escale. Les rues du jour sont animées de gamines qui tendent la main. L’ambiance est bon enfant. La générosité se pose dans leurs mains. Des femmes portant nourrissons au dos cherchent aussi de quoi manger, de quoi se vêtir. Pas de rejet dans les regards ni dans les attitudes. Une habitude. Elles font partie de la ville. Du décor.Un malaise me saisit. Chose. Objet. Les filles grandissent que leur arrivera-t-il ? Quel avenir ?
Nous sommes guidés par un Père Blanc qui se souvient de leur langue le Haoussa. Il aborde un homme de leur communauté mais pas de leur groupe. Il est là pour le commerce et pour envoyer quelques euros au village. Le Père lui demande s’il peut nous accompagner ce soir là où dorment ces femmes et ces enfants, parce qu’il a vécu dans leur pays, parce ce qu’il est Peul lui aussi. Dans notre vie de nomade de la foi, nous apprenons vite ce qui unit les gens, leur appartenance à la terre, à l’histoire. Ce qui nous rapproche les uns des autres, ce n’est pas tant la couleur que l’expérience commune d’un labeur ou d’un labour. Le Père est fils de paysan, éleveur de vache. Il se déclare, non, il se sait Peul hollandais.
Et le miracle ou le mirage va s’accomplir sous le ciel éclairé de lampadaire. Un terrain vague va prendre les contours du village où pour une heure, pour un soir, pour une nouvelle histoire, nous serons les invités honorés de présence et d’attention….
J’avais peur ; peur de susciter des attentes que nous ne pouvions ni ne voulions combler. Ils et elles manquent de tout : eau que des jeunes filles portent habilement sur la tête, comme au pays, au retour d’une journée de quête ; nourriture que l’on devine pauvre ; chaleur qui se dessine avec la nuit et de feux de camp autour desquels se tassent une dizaine de personnes, foyer de vie, foyer d’espoir ; vêtements dont les surplus ou bien les déchets (que donne-t-on aux mendiants ?) brûlent dans le lit de l’oued asséché d’où monte une fumée noire et malodorante ; abris… ce terrain vague près de la poste, loin des regards mais au cœur de la ville est l’enclos sans clôture d’une centaine de personnes.
Soeur Laurence.