Moi qui n’ai pas une grande dévotion pour les cimetières, chaque fois que je retournais à Ipusukilo… j’allais prier sur sa tombe !
Je suis arrivée à Ipusukilo en 1950, en Rhodésie du Nord, Zambie. En bonne Sœur Blanche, la première chose à faire était d’apprendre la langue, le Bemba. Comme en ce temps il n’y avait pas encore de cours de langues, mon professeur était Sœur Séraphine, une des quatre Sœurs de la première caravane de Sœurs arrivée en Rhodésie du Nord. L’après-midi, j’allais dans un village ‘Lubilo’ pour parler, avec Gabrieli Kawimbe.
Tenir la main d’un malade, d’un mourant, ce geste fait toute la différence.
Le vieux Gabrieli l’avait compris. Gabrieli était un homme âgé. Je le trouvais toujours assis dans son ‘transat’ fait avec des peaux de bêtes et disant son chapelet. Il fut l’un des premiers catéchistes de Mgr Dupont, dit « moto moto », évêque Roi des Brigands. (Lire le livre, cela vaut le coup !) Gabrieli était maintenant à la retraite, mais il avait au cœur le feu de l’Amour du Seigneur. Chaque fois qu’il y avait un malade dans la région, souvent loin, Gabrieli prenait son bâton et allait le faire prier ou le préparer à passer sur l’autre rive…
Un beau jour, veille de la fête du Sacré-Coeur, je passais dans les villages pour faire penser à la fête du lendemain, à la messe. Arrivée au village de Gabrieli, on me dit qu’il est très malade. Je vais le voir. Couché sur sa natte dans la maison, il brûlait de fièvre. Il ne me dit qu’une chose : « Je voudrais recevoir le Mfumu (Roi), je voudrais communier. » Je rentre vite à la mission pour le dire au Père Gravel, qui part immédiatement à son chevet. Il le trouve à genoux, attendant la communion. « Mais couchez-vous. » – « Non, c’est pour mon Roi ! » Le Père lui porta la communion trois jours d’affilée. J’allais le visiter, mais je ne constatais aucune amélioration dans sa santé. Puis j’ai dû partir en vélo pour une tournée de 15 jours à 55 kms de là.
Gabrieli est mort quand j’étais au loin ! J’étais triste.
Je ne pouvais retourner à Ipusukilo pour les funérailles: je devais garder tous les groupes d’enfants, de jeunes pour le catéchisme. Mais une foule de gens est partie de là où j’étais, et a marché 55 kilomètres à pieds pour se rendre à l’enterrement, chacun portant un morceau d’étoffe blanche en signe de deuil. Trois jours plus tard, ils revenaient… racontant les funérailles : il y avait eu des gens venus de toute la région, une foule immense. On a tiré des coups de fusil, comme pour un chef… Gabrieli est mort avec une tristesse au cœur : son seul fils vivait avec une femme sans être marié ! Quelques mois après la mort de son père, ce dernier se mariait ! Un miracle ? Moi qui n’ai pas une grande dévotion pour les cimetières, chaque fois que je retournais à Ipusukilo… j’allais prier sur sa tombe !
Soeur Geneviève Delucenay, communauté de Villeurbanne, France..