Perpétue la patricienne et Félicité l’esclave s’en iront ensemble au martyre en se tenant par la main !
« Un jour, raconte Perpétue, alors que nous déjeunions, on nous amena soudain pour l’interrogatoire. Nous arrivâmes au forum. Le bruit s’en répandit aussitôt dans les quartiers voisins et il y eut une foule immense. Nous étions montés sur l’estrade. Mes compagnons, interrogés les premiers, firent leur confession.
Quand arriva mon tour, mon père se trouva présent avec mon fils. Il me tira de l’escalier et suppliant : « Aie pitié de ton fils. »
Hilarianus, le procurateur, me dit : « Epargne les cheveux blancs de ton père, épargne l’âge tendre de ton fils : sacrifie pour le salut des empereurs. »
Je répondis : « Je ne le ferai pas. »
Hilarianus demanda : « Tu es chrétienne ? » Je répondis : « Je le suis. »
Comme mon père était monté près de moi pour m’ébranler, il fut expulsé sur l’ordre d’Hilarius et frappé d’un coup de verge. Je ressentis le coup porté à mon père comme si je l’avais moi-même reçu. Je souffrais pour sa vieillesse malheureuse. Alors fut portée la sentence et nous fûmes tous condamnés aux bêtes. Tout joyeux, nous redescendîmes au cachot »…
Quant à Félicité, la grâce du Seigneur la favorisa ainsi.
Comme elle en était à son huitième mois, elle se désolait fort, à l’approche de jeux, de ce que son martyre risquait d’être différé… Ses compagnons de martyre n’étaient pas moins attristés à la pensée de laisser seule une si bonne compagne sur le chemin de leur commune espérance. Aussi, unis dans une même lamentation, ils adressèrent leur prière au Seigneur le troisième jour avant les jeux. A peine eurent-ils achevé leur prière, qu’elle fut prise par les douleurs. Comme elle gémissait des souffrances d’un accouchement prématuré, un des geôliers lui dit : « Si tu gémis maintenant que feras-tu exposée aux bêtes que tu as méprisées quand tu refusais de sacrifier ? » Elle leur répondit : « Ce que je souffre aujourd’hui, c’est moi qui souffrira pour moi, parce que, moi aussi, j’aurai à souffrir pour lui. » C’est ainsi qu’elle mit au monde une fille qu’une sœur éleva comme son propre enfant…
Le jour se leva enfin où les martyrs allaient remporter la victoire, et ils sortirent de la prison pour s’avancer vers l’amphithéâtre comme s’ils allaient au ciel. Ils avaient des visages gais et radieux, et s’ils tremblaient, c’était de joie non de peur….
Pour les jeunes femmes, on avait préparé une vache furieuse.
Perpétue fut lancée en l’air la première et retomba sur ses reins. Dès qu’elle put s’asseoir, elle ramena sa tunique déchirée, plus attentive à la pudeur qu’à la douleur ; ensuite, elle chercha une aiguille et recoiffa ses cheveux défaits : il ne convenait pas, en effet, qu’une femme subit le martyre les cheveux dénoués, pour ne pas sembler porter le deuil de sa gloire. Puis elle se releva et voyant que Félicité avait été précipitée sur le sol, elle s’approcha, la prit par la main et l’aida à se redresser. Toutes deux demeurèrent debout. La cruauté du peuple s’apaisa et on les fit sortir par la porte des Vivants…
Mais comme le peuple réclamait les martyrs au milieu de l’arène pour être témoin oculaire de leur mise à mort en voyant l’épée s’enfoncer dans leur corps, ils se levèrent d’eux-mêmes et se portèrent à l’endroit voulu par le peuple. Mais d’abord ils s’embrassèrent par le rite du baiser de paix.
Tous reçurent le coup d’épée, immobile et silencieuse… Perpétue, quand à elle devait faire l’expérience de la douleur : frappée entre les côtes, elle poussa un grand cri; puis, comme la main du gladiateur débutant hésitait, elle la poussa elle-même sur sa gorge
Sans doute une telle femme ne pouvait-elle être mise à mort autrement, elle qui faisait peur à l’esprit mauvais : il fallait qu’elle-même le veuille.