Aujourd’hui, nous nous rappelons de nos soeurs qui ont vécu leur consécration jusqu’à la fin et qui sont mortes d’une mort violente.
Nous voulons nous laisser inspirer par leur fidélité et le don de leur vie.
Le pape François, en avril 2017, lors de la cérémonie de commémoration des martyrs modernes à l’église Saint-Bartolomeo de Rome, disait : « Combien de fois, aux moments difficiles de l’histoire, n’avons-nous pas entendu : ‘Aujourd’hui, notre pays a besoin de héros.’
Demandons-nous donc : «Aujourd’hui, de quoi notre Eglise a-t-elle besoin?» Les martyrs, les témoins, c’est-à-dire les saints de la vie ordinaire ont vécu leur vie de façon cohérente». Nous sommes tous appelés à cela. « Mais nous avons aussi besoin de ceux qui ont le courage d’accepter la grâce d’être témoins jusqu’à la fin, jusqu’à la mort. Les martyrs sont des témoins qui font avancer l’Église, qui témoignent de Jésus ressuscité, de Jésus vivant, témoignant de lui par une vie vécue en cohérence avec la force du Saint-Esprit reçu comme un don. »
Cet appel est vraiment pour nous toutes et bien exprimé dans nos Constitutions, comme il l’était dans toutes nos Règles dès le début de notre Congrégation:
« La charité du Christ nous presse,
elle nous donne la force de vivre les paradoxes de notre mission :
dépouillement – enrichissement,
savoir qutter – savoir durer,
et nous entraîne à nous faire tout à tous,
ne reculant devant aucune peine, pas même devant la mort,
pour contribuer à étendre le Règne de Dieu. » (Constitutions n°9)
Soeur Carmen Sammut
« …elles doivent se faire tout à tous… et ne reculer devant aucune peine, pas même devant la mort, lorsqu’il s’agit d’étendre ainsi le Règne de Dieu… » (Cardinal Charles Lavigerie) Ce texte écrit pour nous, de la main du Fondateur, en 1874, est demeuré dans toutes les éditions successives de nos Constitutions, aussi celles de 1981, N°9. Nos devancières y ont puisé force, courage et zèle.
Parmi nos devancières, nous pensons ce soir aux dix sœurs nommées sur cette pierre :
A Biskra, mars 1919 :
Le 5 mars 1919 à Biskra, au Sahara, Sr Isabelle était en train de coudre. Cela faisait partie du service que nos sœurs rendaient à l’hôpital militaire de Biskra. Un soldat de la division sénégalaise de l’armée française, un malade, a pu prendre le fusil d’un gardien et a tiré sur la sœur. Les deux ne se sont pas connus.
A Alger, novembre 1942 :
Sr Jean de Patmos, Sr Marie Angélique, Sr Domitille, Sr Marie Borgia, Sr François de Genève, et Sr Hermine formaient l’équipe du dispensaire ophtalmologique d’Alger Cervantès. En novembre 1942, en pleine guerre, les alliés débarquèrent au Maroc et en Algérie, et les Allemands bombardèrent les nouveaux points stratégiques ; Alger en était un. Le soir du 22 novembre 1942, alors que toutes les sœurs de la communauté étaient réunies à la chapelle, une bombe éclata devant le Tabernacle, tuant cinq sœurs, et blessant la sixième, Sr Hermine, grièvement ; elle meurt le 27 novembre.
En Kabylie, septembre 1956 :
Au matin du 13 septembre 1956, au village d’Ighil-Ali en Kabylie, on vint chercher les « sœurs infirmières » pour soigner un enfant malade. Sr Pierre Fourier sort avec Sr François Solano (elle est toujours vivante, au Canada). On les amène à l’extrémité du village et les prend en otage. Elles ont passé trente-quatre jours en captivité dans la montagne. À la mi-octobre, enfin, c’est l’espoir du retour à Ighil-Ali, le départ sous escorte à travers la montagne… puis, le lendemain, mardi 16 octobre, ils tombent dans une embuscade, et passent toute une journée sous la bataille… Sr Pierre Fourier est frappée de plusieurs balles…
A Kampala, juin 1972 :
Sr Cecilia Jansen est décédée à Kampala à la suite d’un attentat causé par un voleur de voiture. C’est dans sa fonction d’infirmière que l’accident se produit le 22 juin 1972 : elle conduit un malade de Villa Maria à l’hôpital de Kampala. Puis, devant le bureau médical où elle doit se rendre pour faire des démarches, un homme l’aborde et demande les clés de la voiture. Sr Cecilia ne le prend pas au sérieux et refuse. C’est alors que l’homme tire et l’atteint au ventre. Elle fut amenée tout de suite à l’hôpital, et on lui donna les soins les meilleurs. Elle mourut le 14 juillet.
A Cape Coast, au Ghana, janvier 1996 :
Au début janvier 1996, Sr Claudia Murphy était en vacances à Cape Coast au Ghana avec son amie, Patricia. Le 8 janvier, vers 17 heures, elles décident d’aller au bord de la mer. Pendant que sa compagne s’éloigne quelques instants, Claudia est assise et lit. Un jeune homme (drogué, malade mental, on ne sait) accoste Claudia, puis, lui assène trois coups de machette derrière la tête ; la mort est presque instantanée. Sa compagne accourt et est tuée à son tour.
Claudia était la plus âgée des dix, elle avait 65 ans et 34 ans de profession. À la veille de ses premiers vœux, elle avait écrit : « J’ai peu à offrir, mais j’offre toute ma personne, avec la ferme volonté d’être toute à Dieu. »
Plus qu’un simple « memento mori », un rappel de la mort, nous voulons célébrer cette offrande de vie, cette ferme volonté d’être toute à Dieu de nos sœurs (et de nos frères). C’est là que leur vie et notre vie aujourd’hui se touchent car nous tous et toutes avons offert notre vie à Dieu, et dans leur exemple nous puisons force, courage et zèle.
Et leurs vies touchent d’autres vies…
Il y a deux ans, j’ai reçu un courriel de Madame Demelza en Angleterre qui avait appris que sa grand-tante était une de nos sœurs. C’était Sr Marie Borgia (Frances Wilkinson), avec 30 ans la plus jeune du groupe qui mourut dans le bombardement d’Alger. Elle était médecin et s’était convertie de l’anglicanisme. N’étant pas sure de son chemin dans la vie, elle faisait une retraite avec un Missionnaire d’Afrique et puis décida de donner sa vie pour la mission. Sa décision était très mal prise par la famille et elle ne pouvait plus se montrer.
Il y a deux semaines, Demelza m’a écrit à nouveau et elle m’a envoyé trois photos de Sr Marie Borgia, heureuse que ces photos avaient été gardées tandis que beaucoup de la vie de la jeune femme avait été effacé. Elle continue : « Le papa de Frances était médecin lui-même et pendant presque 20 ans, il essayait d’éradiquer la peste parmi les pauvres du Punjab en Inde. N’est-il pas triste que quelqu’un qui a passé sa vie à aider les autres puisse être si dur contre sa fille qui, de sa façon, continuait son travail ? »
« Je suis fière du courage et de l’esprit de Sr Marie Borgia. Avant que mes enfants soient nés, j’ai travaillé pendant 12 ans pour Amnesty International en Asie, pour protéger les opprimés dans des endroits dangereux. Je ne connaissais pas Sr Marie Borgia à ce moment, mais, regardant en arrière, je vois d’où mon travail a été inspiré. J’espère que mes enfants, eux aussi, seront forts pour vivre leur valeurs et convictions quand ils seront grands. »
Que nous puissions puiser force, courage et zèle
dans la vie de nos sœurs et frères qui nous ont précédées sur la route du martyre.
Que nous puissions, humblement, offrir nos vies à Dieu et recevoir de lui
la grâce du témoignage, jusqu’à la mort.
Que nos vies puissent toucher d’autres et les encourager au témoignage. Merci.
Sr Gisela Schreyer, 23 mai 2017