Ce matin-là, au début de la saison des pluies, Emmanuel, dans la cinquantaine, me fit appeler par son fils aîné. Il avait été catéchumène, il y a fort longtemps et avait tout abandonné sauf son prénom chrétien. Nous nous connaissions bien et je le respectais dans la décision qu’il avait prise bien avant mon arrivée.
Ce jour-là, il me faisait savoir qu’il allait mourir et qu’il désirait le baptême avant le grand départ.
Je le savais bien malade. Cinq kilomètres me séparaient de son village, mais quel chemin ! La mobylette dut naviguer dans la boue. Emmanuel était au bout de ses forces, et je constatai son grand désir de s’attacher à Jésus son vrai berger pour le conduire au Père. Lui-même, avait été berger dès son jeune âge, A la seconde rencontre, nous avons célébré son baptême avec sa femme et ses deux fils déjà baptisés.
Quelques jours après, le fils cadet vint me dire que son père voulait s’en aller mourir au village natal. Je pensais avec stupeur à tous les risques de retourner aux fétiches. Je lui écrivis alors une lettre dans laquelle j’exprimais ma peine de lui avoir donné le baptême peut-être pour rien. La réponse fut immédiate. Lui, analphabète, me répondit par la main de son fils aîné. C’était la relecture de toute sa vie, en quatre pages :
Ma sœur, n’ayez pas peur, je ne retournerai pas à mes fétiches.
Ils m’ont fait mener une vie d’enfer. Ce sont eux qui m’ordonnaient de faire obéir mes femmes et de les battre. Autrefois, j’avais tendu une seule main à Dieu et il me l’a prise. Mais peu à peu il me la lâcha parce qu’il sentait que je la retirais. N’est-ce pas dans les gris-gris que j’avais mis tout mon espoir ? Pouvaient-ils me sauver maintenant que je suis dans la détresse ? Ces gris-gris s’ils étaient des dieux, où sont-ils maintenant ? Ne sont-ils pas l’œuvre du sculpteur et du potier ? J’ai toujours refusé le baptême. Mais aujourd’hui si je l’accepte cela prouve que j’ai décidé de changer de vie, vous pouvez me croire.
Mon départ au village natal était prévu l’année prochaine mais à cause de ma maladie, il a fallu que je rapproche le départ pour que si je dois mourir je meurs au village comme je l’ai promis à ma mère. Ne vous inquiétez donc pas pour le fait que je pourrais renier mon baptême. Ne croyez-vous pas vous aussi à la force du baptême ? et si vous ne croyez pas, pourquoi me l’avez-vous donné ? Doutez-vous de la puissance de Dieu Père, Fils et Esprit ? Tous ces péchés que j’ai commis depuis ma jeunesse, qui peut me les pardonner, sinon Dieu seul ? C’est pourquoi à travers ce baptême, je me donne totalement à Dieu. Ce n’est plus une main ni deux mains que je donne, mais tout moi-même car je lui appartiens. Si en effet, étant dans la détresse, les fétiches n’ont pas pu me sauver, c’est parce qu’ils ne possèdent aucun pouvoir et je n’ai aucune intention de retourner vers eux.
Je n’attends pas qu’un miracle soit accompli par Dieu en ma faveur, pour ma guérison.
Peu importe ma vie. Si je dois vivre c’est la volonté de Dieu. Si je dois mourir que je meurs en paix avec Dieu. C’est cela qui compte maintenant pour moi. Mais avant que le moment ne soit venu, je pardonne de bon cœur à mon persécuteur, à tous ceux qui m’ont offensé. Je demande pardon à tous ceux que j’ai offensés. Je remets ma vie entre les mains de Dieu que je reconnais maintenant comme mon Père. A l’heure de ma mort, ma prière sera celle-ci : « Père pardonne nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Amen »
« Merci pour mon baptême ! »
Peu de temps après, quelle ne fut pas la surprise de ma communauté de voir arriver Emmanuel, tout amaigri, sur un vélo boueux, articulant avec beaucoup de peine ces quatre mots : « Merci pour mon baptême ! » Il nous informait qu’il partait au village.
Quelques mois passèrent. A la saison des pluies alors que tout le monde était aux occupations champêtres, le fils aîné vint nous dire que son père venait de mourir et que ses dernières volontés étaient d’être enterré par les chrétiens. Je partis aussitôt et j’arrivais pour constater que le catéchiste le plus proche du village n’était pas disponible. Nous serions donc quatre baptisés pour enterrer Emmanuel : sa femme, ses deux fils et moi.
Quelle ne fut pas ma joie de voir, accrochées au-dessus de sa couchette, quelques images de l’évangile transmis lors de la préparation du baptême ! Une prière fervente de quatre baptisés près de son corps, puis l’enterrement avec les villageois.
Un mois après, à la demande de son frère aîné entouré du conseil des anciens, une célébration eucharistique rassemblait sous un grand abri en paille plus de 300 personnes avec des délégués de diverses communautés chrétiennes. Alors que le catéchiste achevait d’expliquer l’évangile des Béatitudes, un responsable de la communauté musulmane, se leva, prit le bras du catéchiste, le monta bien haut, et cela à plusieurs reprises, comme c’est la coutume lorsqu’on apprécie quelqu’un. Le catéchiste venait d’expliquer l’évangile des béatitudes. C’était la première annonce pour ce village !
Par la suite, le frère aîné d’Emmanuel me confia:
« Le chemin des chrétiens, c’est bon, c’est droit, c’est sans mensonge ! »
Sœur Nicole Robion