Sœur Françoise Dillies, actuellement dans l’Ehpad St Jean à Lille, a passé la plus grande partie de sa vie en Kabylie. Alors qu’une occasion se présentait, elle a accepté spontanément de se laisser photographier habillée en « femme kabyle » et avec beaucoup de simplicité, elle a laissé parler son cœur en nous disant combien elle est heureuse d’avoir vécu avec les femmes de ce pays.
J’ai eu beaucoup de chance dans ma vie parce que je n’ai jamais été qu’en Kabylie où j’ai appris la langue kabyle qui n’est pas facile, avec Sœur Madeleine Alain, la grande linguiste. Nous n’étions qu’un petit groupe et donc c’était comme des cours particuliers bien adaptés à chacune.
J’ai commencé mon parcours en allant d’abord enseigner à l’école primaire de Béni-Yéni, pendant deux ou trois ans. Ensuite, on m’a demandé de venir en France momentanément. Puis j’ai eu la chance de retourner à Béni-Yéni. À cause de la guerre d’indépendance, comme les familles avaient peur que leurs filles sortent, elles nous les confiaient comme des trésors. Ces dernières venaient de trois villages situés sur le haut des montagnes. J’ai donc toujours vécu avec des Kabyles.
Pendant la guerre de libération, nous avons dû nous enfuir à Alger et j’y ai rencontré les Kabyles descendus des montagnes à cause de ce mouvement islamiste qui prenait des proportions importantes. Peu de temps après, j’ai été nommée aux Palmiers, au centre d’Alger. Là, j’ai commencé par passer un examen me permettant de suivre des cours en propédeutique lettres, en soirée, à l’université qui se trouvait à deux pas de notre communauté. En journée, je tenais la bibliothèque universitaire située dans la maison. Combien de Kabyles y ai-je rencontrés !
Et comme cela peut arriver, on m’a demandé de revenir en France, pour être provinciale ! Il y avait à l’époque, 400 sœurs. Ce n’était pas drôle, j’avais 39 ans… Heureusement, j’avais été assistante provinciale en Algérie et cela m’a aidée.
Six ans plus tard, je suis retournée en Kabylie et nous avons dû une fois de plus, nous enfuir à Alger. Mais là de nouveau, je retrouvais les Kabyles, la Kabylie à Alger !
C’est alors qu’on me demanda un service en France, où pendant 12 ans je fus nommée à la communauté de Gay Lussac. Là encore, combien de Kabyles ai-je eu l’occasion de rencontrer.
À présent, je suis à Lille dans un quartier où il y a beaucoup de Kabyles. Ma meilleure amie, une Kabyle, habite tout près d’ici et elle vient souvent me voir.
Ma vie, c’est un fil d’or depuis le début ! Elle est toute droite. Dans ma chambre – les photos sur le mur – une Kabyle fait de la poterie, une autre la met au feu, une mosquée, la chaîne des montagnes enneigée du Djurdjura avec en contre-bas le village où j’étais.
Je regarde cela et je remercie Dieu tout le temps.
Sr Françoise Dillies interviewée par Sr Nicole Robion