Nous nous rappelons des bienheureux martyrs d’Algérie, en particulier des nos frères Jean Chevillard, Alain Dieulangard, Charles Deckers et Christian Chessel.
Le 8 mai 2020, Mgr +Claude Rault. M.Afr. a donné une homélie aux Missionnaire d’Afrique à Paris, France.
Il se trouve que, par le mystère de l’histoire, j’ai connu presque tous les membres de l’Eglise d’Algérie dont nous célébrons aujourd’hui la mémoire. J’ai connu certains plus, d’autres moins.
J’ai eu l’occasion de travailler à plusieurs reprises avec Mgr Pierre au sein de la Conférence épiscopale, et il est venu plusieurs fois dans le diocèse du Sahara lorsque j’étais vicaire général. C’était un homme passionné et passionnant. Ses lettres régulières pendant la « décennie noire » ont rapidement fait de lui une cible potentielle pour les islamistes armés et les forces de sécurité. Il savait les risques qu’il prenait.
J’ai aussi été assez proche de Christian Chessel, Jean Chevillard, Alain Dieulangard et un peu moins de Charlie Deckers.
Bien connu aussi au Ribât, le Lien de la Paix, le frère Henri Vergès (une des premières victimes), moins Sœur Paule Hélène qui travaillait avec lui.
Sœur Odette venait régulièrement au même groupe de partage spirituel. J’allais parfois célébrer l’Eucharistie dans leur petite fraternité en milieu ouvrier.
Depuis le début des années 70, je fréquentais le monastère de Tibhirine et j’avais noué des liens assez forts avec Frère Christian, le futur Prieur. Frère Luc, médecin haut en couleur, m’avait soigné à plusieurs reprises.
Srs. Angèle-Marie et Bibiane m’étaient presque inconnues.
Une ou deux fois, j’ai rencontré Sœur Esther qui soignait un de mes amis dans un hôpital d’Alger où elle travaillait. Et j’ai connu un peu sa sœur de la communauté de la Caridad.
Je ne vais pas retracer leur parcours, mais plutôt vous raconter comment j’ai pu assister à leur cheminement vers la béatification.
Dès le début, lorsque Mgr Henri Teissier a fait procéder aux enquêtes en vue d’une éventuelle béatification, j’ai fait partie des quelques « résistants » à cette procédure. J’étais alors provincial du Maghreb. Au moment où nos compagnons de Tizi ont été assassinés, fin décembre 94, d’autres confrères Pères Blancs, notamment en Centrafrique, avaient payé de leur vie leur attachement au Christ et au pays dans lequel ils avaient choisi de rester. Ils avaient d’ailleurs subi le même sort. Alors pourquoi nos Frères de Tizi Ouzou se seraient-ils distingués d’eux ?
Et puis… je les avais suffisamment connus pour me rendre compte qu’ils n’étaient pas des héros ! Leur vie communautaire n’était pas un grand fleuve de paix. Et puis, en soi, la personnalité de chacun n’était pas vraiment extraordinaire en termes de caractère et de comportement. Pierre Claverie, tout brillant qu’il était, avait ses colères, Frère Christian de Chergé ses contractions, nos confrères de Tizi Ouzou leurs problèmes personnels et communautaires… comme vous et moi ! Et parfois les moines encore plus… ! Voilà, je me suis fait l’avocat du diable !
Au fil de l’enquête, on s’aperçoit qu’au fond, ce n’est pas leur « exemplarité » qui est en jeu, mais le sens d’une Eglise engagée au sein d’un Peuple.
Cela s’est traduit par le don de leur vie en lien avec des musulmans et des musulmanes qui ont fait le don de la leur par fidélité à Dieu et fidélité à leur peuple. Les membres de l’Eglise d’Algérie ont donné la leur dans la ligne de la même fidélité.
Une fois l’enquête terminée, le risque était que chaque Congrégation présente ses « candidats » à la béatification en rangs séparés. Les Pères Blancs y étaient réticents. Et peu à peu se dessine la vision d’une Église unie, se reconnaissant dans ces vies données et désireuse de les voir « béatifiées » non pas au sein de telle ou telle famille religieuse, mais dans le cadre de l’Église, Corps du Christ, qui a décidé de rester au sein de ce peuple souffrant, par solidarité avec lui.
« Ce n’est pas parce que ma femme a perdu la tête que je vais la quitter ! « répond un Petit Frère de Jésus à un journaliste.
Et peu à peu, la « cause » avance. La signature de la béatification par le pape est imminente. Où pourrait-elle avoir lieu ? On ne voyait pas comment ce pourrait être ailleurs qu’en Algérie ! Nous, évêques, nous sommes donc réunis dans le bureau du ministre des Affaires religieuses.
Nous voulions impliquer les nombreuses victimes de cette guerre civile, à commencer par les 113 imams qui ont donné leur vie au nom de leur foi en un Dieu qui refuse la violence. Et cela a été possible, ils ont été reconnus comme le patrimoine spirituel de l’humanité de ce peuple.
Ces réflexions m’ont beaucoup appris sur la sainteté.
Ceux que nous célébrons ne sont bénis ni par leur héroïsme, ni par leur perfection. L’héroïsme est de l’ordre de l’humain, et la perfection n’appartient qu’à Dieu.
La sainteté est d’un autre ordre, c’est un don du Dieu saint. C’est un don que Dieu nous fait à tous, et il nous appartient de l’accepter ou non. Elle prend place dans notre cœur.
Ceux qui sont déclarés saints ou bénis sont déclarés comme un avant-goût de ce que nous pouvons être… avec la grâce de Dieu.
Être déclaré officiellement « bienheureux » ou « saint » par l’Église est une appréciation qui vient d’elle. Nous savons que sur ce point, elle peut se tromper…
Ces hommes et ces femmes ont terminé leur course. Ils étaient comme nous des êtres humains. Au nom de l’Amour, ils ont pris le risque d’aller jusqu’au bout de cet Amour.
Il est à notre portée, comme il est à la portée de n’importe qui.
L’Amour du Père les a accompagnés jusqu’au bout de leur chemin, Il leur a été fidèle. Vêtus de robes blanches, ils se sont mystérieusement laissés attirer par cet Amour de Dieu qui n’a pas de limites.
Ils ont donné leur vie pour ceux qu’ils aimaient, comme tant d’autres anonymes, connus de Dieu seul.
Au fond, l’essentiel est de se laisser attirer par cet Amour. Et cela est à la portée de chacun d’entre nous. Être inscrit sur la liste des bienheureux appartient aux hommes. Être inscrit dans le Livre de Vie n’appartient qu’à Dieu. Mais nous devons nous le souhaiter les uns aux autres.