Presque toute ma formation SMNDA s’est passée en temps de guerre.
Je suis entrée au postulat à Andenne sur Meuse (province de Namur) en avril 43. Six mois plus tard je prenais l’habit au noviciat de Hérent près de Leuven. Il durait alors 2 ans.
En été 44, nous avons subi un terrible bombardement. Nous étions saines et sauves mais les vitres du noviciat avaient volé en éclats. Les Sœurs craignant une récidive ont voulu éloigner les novices de Hérent. C’est ainsi que nous avons été accueillies par les Ursulines de Tildonk durant quelques semaines. Nous occupions les locaux des étudiantes en vacances. Le 29 août, nous rentrions au bercail.
Le 4 septembre 44, Bruxelles était libérée de l’occupant. Quelques jours plus tard, notre maitresse des novices, Sr Rose de Viterbe, nous a conduites au passage à niveau du village : un convoi transportant des militaires alliés allait passer. Le train a ralenti et nous les avons chaleureusement applaudis.
Le 8 septembre, grand événement : le Jubilé des 75 ans de fondation de la Congrégation. Fête que nous avons célébrée dans la simplicité et dans la joie. Les novices avaient préparé un « chœur-parlé » relatant les origines de la Congrégation.
Peu de temps après, nous avons eu la joie d’accueillir Mère Claude-Marie, supérieure générale, une première après 5 ans !
Au noviciat, il y avait une entrée tous les six mois, ce qui faisait une bonne vingtaine de novices. En plus il y avait une dizaine de sœurs professes dont plusieurs attendaient la fin de la guerre pour s’envoler vers l’Afrique. De ma « caravane » 5 novices font profession le 28 octobre 1945 !
C’est en mai 1948 que je suis partie pour l’Afrique – en plusieurs étapes : d’abord un séjour de 3 semaines à la Maison-Mère de Saint-Charles. Les sœurs qui n’avaient pas pu faire la 2ème année de noviciat avaient ce privilège d’aller à Alger.
Le voyage se poursuivit, via Kano au Nigéria, puis Léopoldville (Kinshasa) au Congo : arrêt de quelques jours. Ensuite de nouveau l’avion jusqu’à Kabalo. Là, avec une consœur, ce fut le train vers Kalemie où nous avions 3 communautés. Après quelques jours, départ vers Bujumbura, en bateau sur le lac Tanganyika…. Enfin, c’est en voiture, avec la vice-provinciale, que je suis arrivée au Rwanda, à Save, mon 1er poste en Afrique. Nous avions 2 communautés à Save : celle dite « de la mission » pour la paroisse et ses habitants, la 2ème celle du postulat et du noviciat des Benebikira. Aux bâtiments du grand couvent était adjointe une petite école normale, alors uniquement destinée aux Benebikira. C’est là que j’allais faire mes premières armes; quelques mois plus tard, l’école s’ouvrit à d’autres élèves. J’y enseignerai 15 ans en 2 étapes. Début des années 50, une nouvelle école normale fut construite et pouvait accueillir 280 élèves, toutes internes, le programme émanait du Ministère de l’enseignement. Des professeurs laïques enseignaient avec les Soeurs Blanches.
A l’initiative de certains professeurs laïques, des « clubs » furent formés pour occuper les élèves les mercredis après-midis : sport (volley, basket), chant, théâtre, même légion de Marie. Il y eut aussi le groupe des Francinettes (qui s’inspirait de St François d’Assise) Par équipes de 6-8 élèves, elles allaient visiter des personnes âgées vivant seules et leur portaient quelques vivres (haricots, patates) qu’elles avaient cultivés, du bois de chauffage, de l’eau… Elles ont même préparé une « vieille amie » au baptême. C’était l’âge d’or pour l’école (années 60) !
J’ai passé plus de 40 années au Rwanda dont 30 dans l’enseignement, surtout dans des écoles normales et 10 au service d’une paroisse (Kanombe). Quarante années entrecoupées par 4 ans de service en Belgique. Dans l’enseignement, j’ai connu 2 années bien spéciales ! La 1ère, dans l’école ménagère post-primaire où j’ai dû donner des cours de couture ! La 2ème, c’était à l’école Stella Matutina à Bujumbura – école primaire destinée aux enfants européens. J’étais titulaire d’une classe de 44 élèves de 1ère année primaire. Oh souvenirs ! La formation des jeunes filles rwandaises a donné des résultats manifestes ! Combien de femmes ont occupé des postes importants dans l’administration, même deux Premières Ministres.
Mes 10 années à Kanombe se sont passées au service de la paroisse, une paroisse très spéciale ! Kanombe est le siège d’un grand camp militaire : en ce temps-là, avec les familles des militaires il comptait environ 3 000 personnes. Près du camp avait poussé un quartier dit « extra-coutumier » avec des petites boutiques, des bars (bien fréquentés) etc. … Enfin, plus loin, se trouvaient les premiers habitants de la région au milieu de leurs terres… tout ce monde formait la paroisse. Une communauté de Sœurs Blanches avait été demandée par les autorités religieuses et militaires pour s’occuper des femmes des militaires (maternité, cours ménager) et pour les œuvres de la paroisse spécialement la catéchèse. Vraiment c’était la vie au milieu et au service du peuple de Dieu. L’aumônier militaire faisait office de curé pour rassembler ce monde hétéroclite.
C’est dire que ma tâche était très variée : recrutement et formation des catéchistes – catéchèse extra scolaire pour une centaine d’écoliers se préparant au Baptême et (ou) à la Confirmation – catéchèse et alphabétisation à des adolescents non scolarisés – la Caritas, pour les pauvres des environs- entretien de l’église, etc…
Tout a basculé le mercredi 6 avril 1994 avec l’attentat contre l’avion présidentiel à Kanombe même… ce fut le déclenchement de l’horrible génocide… Que d’ami(e)s avec leurs familles furent massacrés…
La guerre sévissait déjà depuis plus de 3 ans au nord du pays. Cette fois elle allait atteindre tout le pays. Des dizaines de milliers de gens s’enfuirent au Congo. Pour nous c’était la fin de notre apostolat à Kanombe. Le 11 avril nous quittions définitivement cet endroit. Nous laissions tout derrière nous. Un militaire de faction à l’aéroport nous dit ceci comme mot d’adieu : « Il vous faudra revenir, nous avons encore besoin de vous ! » Mes 2 consœurs plus jeunes que moi revinrent mais pas à Kanombe.
Pour moi, une nouvelle vie commençait. Après un an de service à la province de Belgique, je suis nommée à St Marc (entité de Namur). Une communauté de Sœurs Blanches était là en priorité pour accueillir les Sœurs en congé. J’y suis restée 7 ans… Nous participions aux œuvres de la paroisse spécialement en faisant partie des « visiteurs de malades ». Certaines avaient leur apostolat à Namur, alphabétisation, accueil des sans-logis. C’est à St Marc, à la demande de Sr Bijundi Bashige, que j’ai longuement travaillé à l’historique des communautés Srs Blanches au Rwanda depuis la 1ère fondation à Save (1909) jusqu’à nos jours. Pour compléter ce travail, j’ai bénéficié d’un séjour de 3 semaines à Rome pour consulter les archives, c’était en 1998.
Quatre ans plus tard, je rejoignais la communauté qui s’était établie chez les Ursulines de Namur dans leur couvent devenu trop vaste pour elles. J’y suis restée 12 belles années où nous avons pu partager avec elles liturgie, repas de midi, leurs fêtes de Congrégation…
En mai 2015, nouvelle nomination, au Home St Joseph à Evere, une commune de Bruxelles. C’est là que je viens de fêter mes 75 ans de profession religieuse : 1945-2020… jubilé d’albâtre, parait-il ! A cause de la pandémie, la fête ne s’est pas déroulée entièrement comme prévu. La veille, l’aumônier est venu nous dire : « Demain, pas de Messe » Les Pères sont confinés parce qu’un des leurs est suspecté d’avoir le Covid. Alors le matin du 28 octobre, nous suivons donc la messe à Paris que nous donne KTO. Ensuite l’apéro traditionnel avec la communauté seulement. Nos Sœurs des résidences-services d’Evere Green n’étaient pas autorisées à y assister (sauf Sr Mado Closset qui a eu une permission spéciale). Mais, vers midi, l’Aumônier vient dire : « Nous sommes déconfinés, je célébrerai la Messe à 16 h. (La plus belle des actions de grâces !)
En tout, ma vie chez les SMNDA se résume en 19 nominations sans compter des séjours plus courts dans certaines communautés comme les 6 mois passés à St Charles en 1960 pour le 3ème an. Ici à St Joseph, j’attends la 20ème, celle qui sera éternelle. Sr Marie-Louise Thiry