« L’art du tatouage comme attribut de beauté féminine était autrefois l’apanage des femmes maghrébines.
Comme dans toutes les civilisations millénaires, cet apparat qui venait enjoliver les traits du visage, les membres ou certaines parties du corps formait la parure de la femme à l’instar de sa pratique actuelle dans les pays européens avec le piercing, nouvelle forme contemporaine héritée des civilisations hindo-asiatiques qui attire aujourd’hui des jeunes désinvoltes et rebelles.
L’ouvrage qui vient de paraître aux éditions Dar El Khattab se penche avec un corpus de signes, symboles dessinés sur les origines des tatouages féminins berbères des régions de Biskra et de Touggourt en s’étalant un peu plus dans les régions de la Kabylie, pour apporter une modeste étude qui tente une compréhension ethnographique de la symbolique originelle des tatouages, se référant souvent à des témoignages de femmes qui le pratiquaient : « C’est d’ailleurs le grand mérite de Lucienne Brousse de dévoiler ce pan, exceptionnel autant que méconnu de notre patrimoine immatériel. L’ensemble des tatouages que Lucienne donne à contempler dans son livre est un témoignage culturel précieux autant qu’un hommage appuyé à la féminité maghrébine», écrit Sabah Ferdi, chercheur au CNRA dans la préface de l’ouvrage.
L’auteure d’origine toulousaine, est établie en Algérie depuis 1953. Retraitée depuis quelques années, elle avait une longue expérience de pédagogue puisqu’elle est titulaire d’une licence en Lettres arabes. Sa longue carrière dans l’enseignement, elle l’a naturellement portée sur la connaissance des langues parlées, elle a de ce fait collaboré à la création d’une méthode audio-visuelle pour l’apprentissage de l’arabe algérien ainsi qu’une mise en forme de la méthode inédite de tamazight. Elle est par ailleurs l’auteure de la traduction en arabe parlé du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, parue en 2008.
Dans cet intéressant livre, elle porte un regard plein de curiosité et d’admiration sur la pratique tutélaire du tatouage dont le sens est resté méconnu, un art ancestral à part entière dont la pratique avait commencé à s’estomper pour disparaitre dans les années 1970.
Cet art corporel issu d’une tradition fort lointaine du tatouage en Algérie, cette «sorte d’écriture déchiffrable par les initiés», était pratiqué depuis des lustres par nos femmes, particulièrement celles qui avaient le teint clair. L’idée a germé dans l’esprit de notre auteure en examinant ce qu’elle nomme «un dépôt de confiance», une sorte de travail testamentaire dans cette collecte de dessins représentant les relevés des signes caractéristiques des tatouages avec une éventuelle interprétation que lui a laissé la sœur Eliane Ocre avant son décès, un contrat moral dont elle s’est acquittée pour mettre en relief cet art si particulier aux Maghrébines.
«Je dédie cette modeste contribution à la mémoire du patrimoine de l’Algérie, à toutes ces femmes porteuses d’un riche héritage. Même si de nos jours, elles n’en marquent pas la trace sur leur corps, elles transmettent dans sa riche diversité dans tout ce qui fait le fond des «choses du quotidien» par l’artisanat et l’art d’aujourd’hui qui en est marqué : tissage, poterie, vannerie, broderie, peinture, gravure…» écrit Lucienne Brousse dans son avant-propos.
Laisser au lecteur une trace écrite en récoltant cet ensemble de dessins repris à la main sur des bouts de papier, tenter d’en décrypter le sens profond pour une pratique qui avait aussi cours dans d’autres civilisations et continents, c’est assurément sauver de l’oubli une pratique ancestrale aux fonctions multiples et vouloir comprendre toute une anthropologie des signes, motifs et symboles que les plasticiens du mouvement pictural «Aouchem» avaient auparavant voulu explorer. En répertoriant ces signes en deux catégories – simples et complexes – et en établissant une possible signification, l’auteure va chercher loin le sens caché et obscur de ces petites croix, ces traits parallèles, la forme du M, le croissant de lune et l’étoile, la palme et le palmier, le losange, etc., pour en faire ressortir tout un univers de signes dont la fonctionnalité était avérée, selon certains témoignages, l’auteur a certainement fait œuvre utile. Dans cet ouvrage où tout se recoupe comme par exemple les matières utilisées pour réussir la texture du tatouage en procédant aux incisions sur la peau, le lecteur attentif peut aisément voyager à travers les photographies et dessins illustrant un paragraphe ou expliquant les planches dans se qui constituait autrefois cet «art du corps» et qui, dans bien des tribus berbères, n’était pas seulement un marquage culturel mais au contraire un moyen de communication sociale, d’identification à un groupe ou à une ethnie et surtout pour les femmes algériennes qui en suivaient la technique et les procédés secrets une véritable esthétique du signe, révélatrice de leur beauté ou encore un talisman pour les protéger du mauvais œil ou de la maladie : «Les significations de ces symboles peuvent être estompées, il en reste comme une magie, un sens de l’équilibre et de la beauté des formes», écrit à juste titre l’auteure de ce livre. »
Lynda Graba
Brousse Lucienne, «Beauté et identité féminine. Lewcam», Essai, Editions Dar El Khettab, 108p, Alger, 2012